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Réforme de la Formation Initiale en Masso-Kinésithérapie
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Maurice GIROUD
Formateur en IFMK
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osons une autre option…
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Fort de mon cursus professionnel de Masseur-Kinésithérapeute clinicien ayant
exercé en activité libérale et salariée, de Cadre de Santé ayant assuré des
missions d’encadrement de terrain et de direction d’équipes
pluri-disciplinaires, assurant à ce jour une mission de formateur en Instituts
de Formation initiale en Masso-Kinésithérapie et au sein d’organismes assurant
de la formation professionnelle continue, je me permets ici d’exprimer mon
modeste point de vue sur la réforme des études telle qu’elle est aujourd’hui
envisagée.
Par cette approche qui se veut
prioritairement pragmatique et non partisane, je souhaite aujourd’hui
interroger notre profession sur la vision
unique vers laquelle elle semble être tournée au travers d’un consensus
« mou ». A savoir la seule planche de salut serait la poursuite des
travaux de réingénierie de la formation initiale et son « universitarisation »
dans le système plus large du L.M.D.
Européen.
La lettre « de
cadrage », en date du 25 Janvier 2013, signée des deux Ministres des
Affaires sociales et de la Santé d’une part et de l’Enseignement supérieur et
de la Recherche d’autre part, respectivement Mme Marisol TOURAINE et Mme Geneviève FIORASO, définit
clairement le positionnement du Diplôme d’Etat au grade de Licence.
Dans le même temps nous apprenons que le
Diplôme d’Orthophonie est positionné au grade de Master.
Une analyse s’impose au travers
de plusieurs regards.
1°) L’approche sociale et/ou
sociétale.
Qu’attend de nous, Masseur-Kinésithérapeutes, aujourd’hui notre
société française ?
Nos citoyens souhaitent, en sollicitant nos services, rencontrer des
professionnels à part entière orientés vers l’approche clinique, c’est-à-dire
tournés vers l’écoute et la compréhension du cas exposé, capables de réaliser
des examens et des tests précis, permettant d’alimenter un diagnostic,
c’est-à-dire d’émettre un avis professionnel , argumenté, circonstancié et
engagé face à cette situation. Cette étape franchie, ces mêmes usagers ayant
pris connaissance de cette analyse experte de leur état, souhaitent aussi se
voir offrir un projet de résolution de leurs problèmes de santé par ce même
professionnel. Ils s ‘en remettent donc légitimement et en connaissance « entre
ses mains ».
Voici donc la priorité affichée : celle de former des praticiens
et cliniciens qui maitrisent les techniques physiques du domaine de nos
compétences.
C’est pourquoi, à mon sens, il ne faut pas s’écarter dans toute réforme
proposée, de cette exigence fondamentale.
Parallèlement nous pouvons dire que tout le travail entrepris depuis sa
création par des professionnels engagés ont permis d’atteindre deux choses
essentielles au niveau du grand public, notre identification et leur
reconnaissance.
Quel est le contexte d’évolution vers lequel s’orientent les
sciences médicales et paramédicales ?
Les interventions des professionnels médicaux et paramédicaux sont
sensées aujourd’hui se faire en référence avec les données admises de la
science. C’est donc le domaine de l’
« Evidence-Based Medicine » qui se définit comme une médecine
factuelle, qui s’appuie sur l’utilisation consciencieuse et judicieuse des
données actuellement connues et reconnues.
Dans le monde d’une approche consumériste du soin en général, on ne
peut pas ne pas en tenir compte. Il faut en effet devenir crédible dans ses
argumentations et justifications. De fait le support des références admises par
études peu discutables et parfois par consensus est indispensable.
Et pour faire vivre ce support, que la profession s’engage, au travers
de certains professionnels à haut niveau de connaissances méthodologiques et
fondamentales, est une chose très compréhensible.
C’est pourquoi, à mon sens, la demande de pouvoir avoir une place dans les
rangs universitaires, dans les instances de développement et de recherche
qu’elles soient du domaine de la recherche fondamentale ou clinique, qu’elles
appartiennent aux établissements publiques dévolus à cette mission ou qu’elles
s’inscrivent dans le monde de l’entreprise, devient un axe légitime.
2°) La réalité de la
Formation Initiale à ce jour et ses incidences démographiques.
Aujourd’hui 40 IFMK assurent la
formation initiale (20 de statut public, 20 de statut privé dont 5 à but
lucratif). Ces IFMK différents par leur nature, leur organisation, leur
structure et leur taille forment environ un peu moins de 2500 étudiants(es) par
an.
Différents changements réglementaires dans la gouvernance de ces
instituts opérés au cours de ces dernières années ont diminué le rôle
d’implication et de contrôle des autorités de tutelles et renforcé le niveau
décisionnel et organisationnel des directions des IFMK. De fait la notion de Diplôme d’Etat tend,
semble –t-il, de plus en plus à disparaître au profit d’une notion de Diplôme
« d’Ecole ou d’Institut », ceci complété par les orientations
pédagogiques spécifiques que prennent aujourd’hui certains instituts au-delà du
cadre réglementaire de référence qui fige le contenu de la formation et qui
date du 05 septembre 1989.
A cette formation initiale vient,
par année, se surajouter le nombre croissant des autorisations d’exercices de
professionnels étrangers qui pour cette année 2012 peut être apprécié à ce jour
à environ 1500 (fourchette basse d’après la coordination nationale des
commissions régionales d’autorisation d’exercice)
De fait environ 4500 nouveaux professionnels viennent chaque année
alimenter le monde professionnel de
la Masso-Kinésithérapie dans notre pays.
Cela fait que nous sommes très au-delà des données officielles connues
et relatées dans le dernier rapport de l’O.N.D.P.S. de Janvier 2011 qui notait
70780 professionnels et un taux de croissance annuel de 2,8%.
Certains pensent encore qu’il y a un déficit de professionnels sur
notre territoire, ce qui n’est plus à mon sens la réalité d’aujourd’hui et de
notre avenir immédiat, le pic de départ à la retraite de nos ainés ayant été
atteint. Si le monde institutionnel est apparemment en déficit numérique de ces
équipes c’est pour une toute autre raison qui est plutôt d’ordre de
l’attractivité. La preuve en est que certaines équipes encore managées par des
cadres professionnels orientés corps de métier, font le plein de leurs
effectifs et ne connaissent pas de problème de recrutement.
3°) La maquette proposée pour
la nouvelle réforme, via «
l’universitarisation ».
Sans rentrer ici dans le détail de cette maquette, puisque certains de
mes confrères l’ont déjà présentée de façon claire et synthétique dans la
presse professionnelle, je veux exprimer quelques observations :
Une sémantique de présentation des domaines, des unités d’enseignement,
des activités et des compétences qui est complexe, sans doute trop savante,
surement « jargonnante », qui s’écarte du registre professionnel
connu et maitrisé, qui n’est plus ancrée dans la pratique clinique et dans
l’approche pragmatique du métier et qui reste prioritairement conceptuelle.
Je demande donc à ceux qui ont été à l’origine de cette maquette,
qu’ils nous délivrent non seulement le glossaire qui nous servira à décrypter
les données formulées, mais également les items professionnels qui viendront
les alimenter.
Une structure d’approche différente de l’apprentissage actuel, puisque
le sain et le pathologique seront approchés dans le même temps pédagogique. La
distanciation indispensable et nécessaire pour construire l’analyse, la compréhension
puis la comparaison des situations ne se fera plus avec le même ancrage et la
même solidité. Les premiers « tours de roue » de la réforme de
l’actuelle PACES (ex PCEM1), au regard des premiers intéressés que sont les
formateurs et les étudiants intégrés en Médecine permettent aujourd’hui de
repérer cette tendance.
Une formation densifiée sur 6 semestres. Déjà la formation actuelle,
proposant un premier cycle basé sur une seule année qui en volume horaire
correspond à 2 années universitaires et l’ensemble des 3 années de formation
qui correspond en volume horaire à 5,43 années universitaires, est déjà
considérée comme dense, ardue et parfois vécue par certains comme maltraitante.
Augmenter globalement le nombre d’heures dans la même unité de temps est de
fait impensable, même si on semble vouloir y privilégier les temps personnels
et les temps personnels guidés.
Une formation qui n’apporte plus ou plus suffisamment les substrats
fondamentaux de l’exercice clinique (pour exemple : anatomie descriptive,
fonctionnelle, architecturale, histologique…, physiologie des structures et
systèmes organiques, biomécanique arthro- tissulaire, des fluides..). Sur ces
enseignements, le formateur en IFMK pouvait, jusqu’à présent, proposer des
raccourcis étoffés et argumentés de connaissances aux étudiants(es), alors que
maintenant on va à nouveau leur demander de « réinventer l’eau
chaude » en les amenant à découvrir par eux-mêmes. Certes le nouveau
projet, en dégraissant ces enseignements, propose d’étoffer d’autres unités
d’enseignement autour de la méthodologie de recherche et des sciences humaines.
Un profil d’étudiant qui en parallèle évolue. Munis d’une formation
primaire et secondaire qui manque souvent de repères et de structures solides
pour aborder le monde professionnel dans lequel ils s’inscrivent en rentrant
dans nos instituts de formation professionnelle et « professionnalisante »,
les étudiants(es) en Masso-Kinésithérapie ont besoin de guides, de règles, de
reprises pour remise à niveau , de suivi individualisé pour conquérir de la
confiance en eux et des valeurs comme le
sens de l’effort et de la ténacité.
Partir avec un présupposé d’une complète maturité leur permettant de
gérer toutes les composantes de cet apprentissage est bien entendu une erreur
pour la très grande majorité d’entre eux.
L’université avec un Grand U, existe-t-elle vraiment ? Chaque
université fonctionne pour elle-même. Certes quelques règles générales
entourent leur fonctionnement. De fait chaque institut pourra négocier
certaines adaptations avec son université de rattachement.
A ce jour il existe encore à peu-près 1/3, voire 2/5 des IFMK qui n’ont
pas contractualisé avec une université. Le feront-ils, le pourront-ils
demain ?
Se pose alors la question de l’homogénéité de la formation et de fait
la reconnaissance d’un niveau universitaire ou non.
On sait aussi que la mission de l’université, dans le cadre de l’enseignement
universitaire facultaire, est d’amener l’étudiant(e) à un diplôme, mais
nullement le(la) former à un métier.
On sait encore que l’université ne maîtrise pas ou que très faiblement
les piliers de la formation en alternance.
En comparaison, remarquons ici
que nos IFMK aujourd’hui, avec les imperfections qui les caractérisent,
réussissent néanmoins chaque année une certaine prouesse, puisqu’en 3 années
d’études ils amènent sur le marché du travail des nouveaux professionnels qui
sont malgré tout immédiatement opérants et plutôt autonomes dans leur pratique.
Ce qui montre bien qu’ils ont une bonne maîtrise d’œuvre en formant à un métier
et non pas à la seule obtention du diplôme et en sachant organiser la formation
par alternance qui est une des bases pédagogiques essentielles, puisqu’elle
permet en parallèle l’apprentissage déductif et inductif, socle inaliénable de
l’ancrage entre la compréhension conceptuelle et la réalité clinique, lui-même
support de l’intelligence praticienne.
Le système LMD. Initialement le
processus Sorbonne-Bologne, initié à la conférence de Bologne le 19/06/1999
prévoyait un cadre commun aux formations supérieures de l’espace européen avec
mise en place avant 2010 et réparti en deux cycles de formation et des
équivalences de crédits, les fameux E.C.T.S (European Credit Transfert System).
La justification de cela s’appuyait sur une forme d’harmonisation avec le
système anglo-saxon basé sur les 2 niveaux « undergraduate » et
« postgraduate ». Aujourd’hui on raisonne plus en terme de
Licence-Master- Doctorat.
Ce cadre de référence est bien évidemment louable mais comment peut-on
le faire vivre et est-il une finalité en soi, pour une formation
professionnelle comme la nôtre ?
C’est là en s’appuyant sur
l’expérience des professionnels de l’éducation nationale qui ont eu à gérer en
leur temps la fermeture des I. U. F.M. pour intégrer dans l’université la
formation des maîtres d’écoles, que l’on pourrait se dire : faut-il
s’intégrer à l’université pour obtenir un grade Master ou plutôt
« Masteriser » notre formation
professionnelle ? Ces mêmes professionnels nous répondent clairement
aujourd’hui que c’est cette deuxième voie qui aurait dû être choisie pour
eux-mêmes.
Rappelons aussi que le L.M.D. arrête ses limites d’équivalence, par
nature, aux limites de l’Europe. Celui qui veut aller travailler et exercer son
art en Amérique du Nord, en Nouvelle Zélande, en Australie (Grandes Terres de la WCPT), se verra
obliger de requalifier son diplôme tout comme aujourd’hui. (Pour 2 instituts délivrant en complément un
diplôme universitaire, les étudiants(es) peuvent bénéficier d’un accès à la
formation complémentaire pour le droit d’exercer au Canada)
4°) Que tirer de ces
remarques ?
Cette invitation à finaliser les travaux que nous formulent les deux
ministres, doit être transformée de toute urgence en une invitation à refonder
les bases d’une vraie réforme qui reconnaisse vraiment le vrai niveau vers
lequel cette profession a été tirée depuis des décades et non pas celui qui
l’enterre dans une licence qui sera par nature professionnelle et dont la vraie correspondance dans le système
L.M.D. reste hypothétique.
Cette dernière voie qui est la voie résignée et dépitée vers laquelle
un certain nombre d’entre nous semble vouloir aller, avec beaucoup d’autres
autour de moi, je la refuse.
L’exemple de ce qui se passe au
niveau des infirmiers(ères), nous montre bien que ce
« copier-coller », qu’on veut probablement quelque part nous imposer,
ne peut être une chose convenable pour nous.
C’est donc pour cela que je
plaide ici
pour la « Masterisation » de notre profession en organisant
une formation en partenariat avec l’université et/ou le monde de l’entreprise,
mais pas pour une formation intégrée dans l’université et en en gardant la
maîtrise d’œuvre professionnelle sous supervision de notre instance ordinale.
Cette formation se réaliserait au sein d’Instituts ou d’Ecoles
d’Ingénieurs en Masso-Kinésithérapie (ou Physiothérapie), comprenant :
une sélection sur dossier ou concours dans le cadre d’un numérus
clausus sous double contrôle professionnel et d’état
un premier cycle de style « prépa-intégrée » en deux ans où
seraient enseigner tous les fondamentaux socles de la formation et la mise en
place des outils professionnels
un deuxième cycle de formation « professionnalisante » en 3
ans avec formation en alternance conduisant à l’intégration et l’adaptation de
la réalité pathologique et à la production d’un réel travail de recherche clinique et/ou
fondamentale finalisé dans la dernière année de formation. Cela devant aboutir
à un Diplôme Professionnel et à un grade de Master plein et entier (M2) dans le
système L.M.D.
L’identification au travers d’un titre professionnel simple permet au
grand public de trouver facilement ses repères et de reconnaitre le dit
professionnel.
A cet égard nous pouvons affirmer
qu’ avec comme seul titre de reconnaissance un Master, parmi les 750 Masters existants aujourd’hui, et
voire même plus, avec des libellés parfois très alambiqués, nous ne pourrions pas
obtenir ce positionnement et cette reconnaissance spontanée au sein de nos
concitoyens.
Cette formation aurait comme priorité la formation de cliniciens et de
praticiens qui, aux côtés des Médecins et des autres Professionnels de Santé,
nourriront de leur expertise particulière, la sécurité de l’approche
thérapeutique des patients. Cette formation devrait aussi favoriser l’émergence
de professionnels qui voudraient s’orienter vers la formation, la recherche, la
conceptualisation et la modélisation future de notre profession. (Là aussi, il faudra bien s’adosser à une
section universitaire qui voudra bien de nous…).
Chaque institut gardant le statut d’aujourd’hui pourrait faire vivre
cette formation comme il le souhaite sous contrôle de son conseil pédagogique
et de l’ARS dont il dépend, et aurait la
possibilité de négocier avec d’autres partenaires internationaux pour obtenir
des équivalences de diplômes et de fait des autorisations d’exercices dans
d’autres pays hors de l’Europe.
Le modèle existe aujourd’hui dans
un bon nombre d’Ecoles d’Ingénieurs ou de Commerce dont les performances sont
reconnues internationalement.
Bon courage à nous tous….
Avec
mes sincères salutations confraternelles et cordiales.
M.
GIROUD le 29/01/2013
P.S. : C’est
en connaissance, des recommandations concernant la réforme de la formation
émanant du CNOMK et du communiqué du CNOMK daté du 28/01/2013, de l’article APM
International daté du 25/01/2013 et relatant la position de la FFMKR, du
communiqué du SNIFMK daté du 29/01/2013,que j’écris ces lignes sans faire de
commentaires directs à l’ensemble de ces publications et ceci pour éviter de
m’inscrire dans toute polémique, à priori, estimant que la gravité de la
situation ne le permet pas.